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La maison « Les étoiles » - Henri Pennier et Nello Rossetti

La maison « Les étoiles » - Henri Pennier et Nello Rossetti : rue du Printemps et rue du Soleil, Le Mans (Sarthe) ; rue du Remblai, Le Grand-Lucé (Sarthe)

Il s'agit d'un cas unique d’œuvre collaborative parmi l'ensemble des environnements d'art singulier qu'il m'ait été donné de découvrir. L'amitié et la solidarité fraternelle entre deux hommes, deux voisins, Nello Rossetti et Henri Pennier avant et pendant la guerre furent à l'origine de l'édification de cette étonnante maison. Cette bâtisse se laisse admirer depuis le bord de route même si un portail en PVC blanc cache désormais l'avant de la façade. On ne perçoit que la partie haute de l'édifice rehaussé de l'appellation « Les étoiles » sur un toit terrasse à l'italienne en ciment décoré d'ornementations.

Nous sommes saisis par cette architecture contrastée où la rigueur d'un matériau laissé à l'état brut est rompue par la singularité des volumes et la fantaisie des décors. Cette maison marron rehaussée ça-et-là de fresques en bas-relief peintes et de décors en trompe-l’œil détonne par son approche architecturale résolument hétéroclite. Tout un pan de façade latéral est dynamisé au moyen d'un faux dallage boisé quadrillé et de colonnes de ciment imitant la forme et les rainures d'un tronc d'arbre.

La petite-fille d'Henri Pennier et son mari me reçoivent de bon cœur et prennent le temps de me conter l'histoire de cette demeure, symbole d'un attachement familial fort dont ils assurèrent eux-mêmes la restauration. « Lorsque mon grand-père décéda, j'étais toute petite, c'était en 1969... Mon père y a vécu jusqu'à son adolescence tandis que sa maman Alexandrine y tenait une petite épicerie. Il s'est résolu à la mettre en location à la disparition de ses parents. Je l'ai ensuite récupérée en 1991. »

L'extérieur fut conservé mais l'intérieur dut subir d'importantes modifications en raison de travaux d'isolation nécessaires au confort de leurs occupants. La façade fut préservée et restaurée par la petite-fille. Elle nous raconte ainsi comment, en suivant les conseils de son voisin Daniel Rossetti, fils de Nello, elle apprit à travailler le ciment pour lui donner l'apparence de faux bois au point d'attraper la gale du ciment. « Cette maison ne me paraît pas si extraordinaire puisque je suis née dedans mais je ne vois pas comment son apparence pourrait en être autrement ».

sous les étoiles

« Mon grand-père était sabotier. Il tenait une boutique de confection de sabots à Saint Calais (à 45km d'ici) jusqu'à la guerre. Son entreprise périclita au début du conflit et quand le vent tourna il acheta ce terrain sur lequel fut construite cette maison. Mes grands-parents venaient à vélo de Saint-Calais avec mon père alors enfant juste après l'acquisition. Ce terrain n'était qu'un vaste dépôt d'ordures dans une forêt appartenant à Mr Bolet, un constructeur d'usine qui en avait fait son terrain de chasse. Ce riche entrepreneur vendit une parcelle à mon grand-père qui y construisit la maison, en se servant du sable d'ici. Mes grands-parents ne pouvant pas faire l'aller-retour dans la journée, commencèrent par creuser un trou pour dormir, manger ou encore s'abriter de la pluie. Henri avait du mal à trouver du ciment étant donné qu'en temps de guerre, les Allemands le réquisitionnaient pour la construction de leurs blockhaus. Faute de savoir-faire, le ciment qu'il confectionnait à partir du sable récupéré était poreux donc de mauvaise qualité... »

Nello Rossetti apparaissant dans une revue consacrée aux cimentiers italiens au Grand-Lucé par Yves Piraux

Ce fut à cette époque que Nello Rossetti et Henri Pennier se rencontrèrent. Ils s'entendirent de sorte que Nello aidait Henri à construire sa maison tandis qu'il lui cédait une partie de son terrain afin qu'il y édifie la sienne. Rossetti construisit ainsi sa maison à côté de celle de son ami. Les deux hommes mirent cinq ans à construire la maison d'Henri en commençant par les empreintes au sol, le coulage du béton, les moulages, l'habillage des façades...

Une signature de Nello Rossetti que l'on retrouve également sur la façade d'une autre maison au Grand Lucé

« Nello quitta son Italie natale pour fuir le régime de Mussolini, Il partit seul, sans famille et fut aidé par des réseaux de résistance anarchiste en France. Mon grand-père Henri le connut par ce réseau. Henri était dans l'entraide et cette amitié se tissa par ce biais. Nello travailla au Mans en tant que cimentier, métier qu'il exerçait déjà en Italie. Je sais que les fresques en ciment modelé inspirées des fresques de la Renaissance Italienne sont l’œuvre de Nello.

Henri, quant à lui, était sabotier et décorait ses sabots. J'en déduis donc que les moulures en faux bois et les dallages boisés en trompe-l’œil devaient lui être attribués. C'est la rencontre de deux esprits originaux qui permit la construction de ces deux bâtisses ». En contemplant cette maison, on pense à tort y déceler deux campagnes de construction espacées dans le temps. La façade avant est surmontée d'un toit terrasse alors que l'étage à l'arrière de la maison est composé d'une toiture en bois. Leur intention initiale était autre mais la guerre en décida autrement. Les pénuries de ferraille et de ciment les incitèrent à se servir des sapins alentours pour recouvrir cet étage à la hâte accentuant le caractère bigarré de la construction. Henri redoutait que sa demeure ne succombe aux affres du feu du fait de sa composante imposante en bois, elle-même située au beau milieu d'une sapinière sous les bombardements...

Je m'attarde peu sur la maison de Rossetti pour n'avoir pu recueillir d'informations auprès de ses petits-enfants résidant pourtant encore aujourd'hui dans cette maison. « Ils ne souhaitent pas recevoir la visite de curieux ou d'amateurs d'art.» m'indiquait la fille d'Henri. La maison de Nello s'admire également pour son ornementation singulière. Fresques et moulures viennent ponctuer une façade plus imposante, construite d'un seul bloc, n'ayant néanmoins pas le charme de la villa d'Henri Pennier. Hormis les bas-reliefs caractéristiques du style de Nello, nous retrouvons quelques motifs similaires à ceux apparaissant sur la façade d'Henri, notamment sur le toit terrasse de la même facture.

La maison de Nello Rossetti

« On reçoit des visites de gens qui viennent du Canada, d'un peu partout… souvent les gens n'osent pas nous interpeller mais lorsqu'ils le font ils nous disent qu'ils viennent de loin. Il y a des gens qui ont un parcours, un peu comme vous et qui programment leurs vacances à faire ça, à visiter des maisons insolites... »

Je parcoure les pages de cet album de famille précieusement entretenu. La maison, abondamment photographiée, sert de décor en filigrane à cette histoire familiale. Je contemple les photos d'Henri et de sa petite famille où on peut les voir pique-niquer sur un tas de sable, à l'endroit même où je me trouve, la maison n'ayant pas encore surgi des entrailles de ce monticule d'ordures initial.

Absorbée par cette étude, c’est in extremis que j’évitais de me faire arracher un orteil par une tortue prétendument domestique bien que psychopathe, sexagénaire et désireuse de marquer son territoire. Elle portait elle aussi sa maison sur son dos et avait certainement beaucoup de choses à me confier.