La maison paysage d'Henri Dalpez
Le champ Mailly, Loos en Gohelle
Henri Dalpez - visite en juin 2021
Ce fut une rencontre des plus singulières. En arrivant sur les lieux, je frappai une première fois sans réponse alors même que j'entendais une source sonore provenant de la maison. En tendant l'oreille je distinguai une petite voix fluette et aiguë entonner un air. Était-ce un enregistrement ? Était-ce la voix d'une femme ou celle d'Henri qu'il parvenait à féminiser? Les quelques fenêtres et embrasures étaient obstruées par des panneaux, pour la plupart peints. La maison revêtait la structure d'un blockhaus de béton. Henri semblait se protéger du monde extérieur.
À la deuxième tentative Henri sortit. À son air renfrogné, je compris qu'il ne tenait pas particulièrement à me recevoir et s'étonna que je manifeste le moindre intérêt pour son œuvre. Il avait commencé à peindre les murs extérieurs de sa maison à la fin des années 50. Chaque année il recouvrait le tout d'un badigeon blanc pour effacer les anciennes fresques et en réaliser de nouvelles, activité qu'il n'avait plus renouvelée depuis quelques années déjà. À 89 ans, il n'avait tout simplement plus l'envie ou même l'énergie à déployer pour perpétrer cet acte créatif. «Qu'est ce que vous leur trouvez à mes peintures? Vous trouvez ça bien? Je trouve ça plutôt laid, elle n'ont pas été repeintes depuis des années. Vous êtes venue jusqu'ici pour ça?».
En dépit de leur état d'usure, les fresques sont joyeuses, exécutées dans un style enlevé et les couleurs ont conservé toute leur vivacité. Celles-ci dépeignent des paysages idylliques, eldorados lumineux peuplés d'animaux de la savane (zèbres, girafes, lions) et d'êtres vivants aux physionomies riantes et aux bouches ouvertes, comme s'ils cherchaient à entrer en communication avec leur spectateur. Les femmes représentées sont érotisées: elles apparaissent tantôt comme des amazones africaines, saisies dans un environnement naturel peuplé d'animaux, tantôt comme des pin-ups prenant des poses aguichantes.
Photographie: Hubert Bouvert
Photographie Hubert Bouvet
Henri fut appelé du contingent pendant la guerre d'Algérie. Il rapporta de ce voyage des souvenirs qu'il fixera aux murs de sa maison. Certaines vues paysagères peintes par Henri sont encadrées, transformant ainsi son mur en espace d'exposition. Ancien mineur de fond, il réussit à s'extraire de ces ténèbres de charbon pour devenir ouvrier maçon. On ne peut qu'admirer la proportion d'environnements singuliers dans ces régions minières du nord de la France. Entre l'univers de la mine et les habitats prolétaires, uniformisés et répartis en cités, l'envie de sublimer le quotidien se fait d'autant plus ressentir. Les rêves survivent à la pénibilité de l'existence et l'envie de transfigurer le réel s'impose. La couleur jaillit dans le paysage charbonneux.
- D'étonnants jardins en Nord-Pas-de-Calais. Textes, Nathalie Van Bost aux éditions Lieux Dits, 2015.
- Inventaire général du patrimoine culturel des Hauts-de-France: https://inventaire.hautsdefrance.fr/dossier/maison-et-jardin-de-monsieur-henri-dalpez/0348758c-115a-4c08-a1c6-17d3b98222e4