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Les planches sculptées de Jean-Claude Villot

Jean-Claude et mon cousin Louis qui m'accompagnait ce jour là.

Jean-Claude Villot - visite en août 2024

C'est à ma cousine Marie Baxerres que je dois la découverte de ce site situé à une trentaine de kilomètres de Bordeaux, au bord de la D936. Les sculptures longent la départementale les rendant visibles par les automobilistes. Elle se dressent dans leur verticalité et aspirent à la reconnaissance. Accompagnée de mon cousin Louis, je rencontrai ce jour-là Jean-Claude dans cet environnement érigé dans le jardin de sa sœur. Jean-Claude a investi ce bout de terrain familial situé à 3 kilomètres de son domicile (beaucoup moins exposé à la circulation routière), lui préférant sa large superficie. Il propose néanmoins quelques répliques de ses œuvres dans son propre jardin, s'agissant peut-être d'un travail de préparation destiné à l'élaboration de ses pièces maîtresses.

Le jardin s'étoffe depuis une quinzaine d'années. C'est dans un esprit de sympathie pour le mouvement des gilets jaunes que Jean-Claude a déployé son œuvre à plus grande échelle, il n'a cessé par la suite d'afficher son engagement au travers de ces sculptures, manifestes des préoccupations sociétales actuelles. "Alors ça c'est Roselyne et là Jean-Luc Mélenchon tiens... J'ai un chien chez moi, je l'ai appelé Manu, j'ai une vache, je l'ai appelée Elisabeth. Oh j'aime bien les emmerder les politiques, c'est tout con." Outre l'actualité politique brûlante de ces dix dernières années, certaines commémorent des figures de la société civile, des héros populaires, des personnages de fiction ou des personnalités médiatiques françaises telles que le gendarme de Saint-Tropez Cruchot, Georges Brassens, Tintin et Milou.. mais aussi des évènements sportifs dans lesquels la France s'est illustrée jusqu'aux jeux paralympiques de l'été 2024.

Au centre, une chapelle a été dressée en l'honneur de sa sœur Monique et de son beau-frère François pour accueillir le renouvellement de leurs vœux 30 ans après. Jean Claude me raconte que l'érection de cette chapelle ne s'est pas faite sans polémiques : "Un mec, il passe et il dit que c'est une mosquée. Il voit la croix mais il l'a prend pour un minaret et ça a fait tout un tintouin. C'est pour vous dire que les gens y sont cons. Qu'est ce que ça peut bien leur foutre? Qu'est ce que vous voulez faire, les gens on va pas les empêcher de dire des conneries." "Quand je suis parti à la retraite, j'ai revu des copains qui m'ont dit : "tu sais on te regrette vachement, parce que t'arrêtais pas de déconner et de faire des petites sculptures pour qu'on se marre". Je travaillais à l'usine de Camarsac comme menuisier charpentier. Depuis que je suis à la retraite, j'ai quelques copains qui m'apportent du bois. Je découpe les palettes de bois à la scie sauteuse et préfère travailler en plein air comme ça les gens me voient. J'aime bien les visites comme ça je discute avec les gens." Du haut de ses 65 ans, sa gaillardie force l'admiration.

Une fois une personne m'a dit "Oh faut que t'arrêtes, c'est dégueulasse, ça fait dégueulasse et tout ça". Ma sœur lui a dit "Peut-être que tu as des choses chez toi qui sont encore plus dégueulasses que ça et qu'on en fait pas des caisses et on ne tourne pas la tête quand on les voit et quand tu passes devant chez nous t'as qu'à tourner la tête et voilà". Mais moi je ne leur en veux pas aux gens, ils pensent ce qu'ils veulent. Parfois je fais de trucs bizarres : un cercueil avec un mec dedans et puis quelqu'un m'a dit : "oh ça va te porter malheur" - "Arrête tes conneries que je lui dis".

"Fermier ruiner"

Rémy Ricordeau, un ami et amateur d’art brut, venait de découvrir ce site quelques jours avant et m'avait parlé des peintures de Jean-Claude dans la maison de sa sœur et de "son beauf". J’insistai à mon tour pour découvrir cet ouvrage et suis tombée en arrêt devant cet art environnemental d'une troublante intimité dans lequel peinture mobilier et architecture ne font qu’un. Les quatre murs du salon étaient entièrement couverts de scènes de la vie quotidienne dans une facture naïve à tomber par terre. Le mobilier du salon en bois sombre et rustique côtoie des motifs colorés et déliés évoquant un paradis pastoral à la recherche de récits originels. Cette figuration narrative dialogue avec l'histoire familiale que les photographies aux murs relatent.

Jean-Claude me confia qu'il s'était mis à peindre à même les cloisons il y a une quinzaine d'années, prélude à la confection de ses sculptures en plein air, lorsque sa mère était mourante. Il passait ainsi ses soirées à son chevet et à recouvrir de peinture les murs blanchâtres de la salle de séjour de scènes figuratives. On y voit sa mère, assise paisiblement sur un banc, son père en train de pêcher. Il y a transposé le souvenir d'un mémorable voyage en Alsace, ou s'est adonné à dépeindre des scènes de la vie rurale, autant d'activités de plein air pourtant circonscrites dans l'opacité d'une pièce intérieure. Cette expression individuelle confinant à l'intime ne peut être restituée dans le monde extérieur, au su et au vu de toutes et tous. La démarcation entre sphère intime et privée se perçoit dans son œuvre et celle-ci s'affirme pour son investissement affectif.

La productivité de Jean-Claude est telle que pas un jour ne passe sans qu’il ne découpe du bois, peigne ou n’assemble ses pièces. Depuis notre rencontre, Jean-Claude m’envoie régulièrement les photographies de ses dernières réalisations. Il déroule le fil de son infatigable œuvre au travers de ces sms journaliers. Je commente, le félicite, boude quelques réalisations ou l’encourage à emprunter d’autres voies car il me sait désormais follement éprise de cette pièce. Il m’avoue nourrir le désir de construire une grotte qu’il parerait de figures et me redonne par là même l’espoir de m’enfouir à nouveau dans sa peinture.

Jean-Claude à droite, sa sœur, son beau-frère et le chien

En entrant dans la maison, j’ai salué Monique et François qui nous reçurent avec affabilité. Et c'est au fil de la discussion que je compris à quel point Jean-Claude n'était pas le seul à intervenir dans cet environnement d'art singulier. Il arrive parfois que son beau-frère François peigne les figurines sciées de J-C et que la sœur Monique apporte quelques corrections aux titres de ses réalisations.

- J-C : J'avais fait un bonhomme et puis le beauf s'est mis à le peindre.

- Monique: Nous on est à la retraite et puis il est chez nous alors il nous parle de trucs qu'il veut faire et mon mari lui dit : "Allez je vais te le peindre!".

- J-C: Des fois j'écris des trucs et je me dis merde comment ça s'écrit, parce que des fois j'oublie des lettres, ils m'aident aussi à corriger les lettres.

- Monique : Il dit à mon mari, comment t'écrirais ça? Alors on l'aide...

- J-C : Je viens dans le terrain de ma sœur et de mon beauf, ça me fait du bien de travailler et puis y a pas un mois où je ne reçois pas une visite. Il y a quelques temps, ma nièce a eu une dépression, et pour que sa dépression passe, je la faisais peindre et bricoler. On a fait plein de choses ensemble. Y a une dame la pauvre elle a eu un cancer, elle m'apportait plein d'affaires et elle venait me voir en disant que ça lui faisait de bien de me voir travailler, que c'était un peu comme une deuxième chimio.

un des clichés/sms envoyés par Jean-Claude pour me montrer l'avancée de ses réalisations.

Les figurines que le Chair de Poule accueillera prochainement

En nous quittant Jean-Claude m'offre une figurine en bois de sa confection. Je rapportai ce souvenir pour l’exhiber dans mon bar parisien nommé le Chair de Poule. J’envisage désormais d’exposer une vingtaine de ses petits personnages sculptés dans le même troquet. Jean-Claude montera à la capitale pour l’occasion et vous aurez peut être l’occasion de le rencontrer.