Cartographie des Rocamberlus

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Andre Muetton ou la découverte d'un environnement!

Lapeyrouse-Mornay, 26210. Visible depuis la route

Photographie: Romain Perrot

André Muetton - Visite en août 2022 Il y a des fantasmes qui se réalisent, il y a des trésors qui se déterrent... Par le plus fortuit des hasards, alors que je sillonnais les routes de campagne en voiture en direction du Palais idéal du facteur Cheval, je découvrais l'environnement d'André Muetton. Les yeux m'en tombaient car je sentais que je découvrais un site totalement inédit. Il n'était pas indiqué sur la carte de France que j'avais criblée de petits points, désignant tous les environnements d'art singulier que j'avais répertoriés. Cette carte, qui accompagne mes pérégrinations dans l'hexagone, est le fruit de recherches sur plusieurs années, en parcourant internet et les ouvrages bibliographiques concernés, et a pour but d'inventorier les diverses productions de ces habitants paysagistes. Aucun signe, aucun marquage n'apparaissait à cet endroit précis de la carte. Je marquais alors d'un point rouge irrévocable la commune de Lapeyrouse Mornay sur mon plan.

Visibles depuis le bord de la route, les compositions architectoniques d'André Muetton reposaient sur un terrain vague venant s'agréger, telle une protubérance, à la voie principale. Je découvrais des amorces de façades rehaussées de niches dans lesquelles des bibelots étaient posés. J'identifiais des moulages d'éléments décoratifs agrégés les uns aux autres, des reposoirs, des colonnes, des arcades, des incrustations de galets et de morceaux de faïence et surtout des lettres géantes surplombant ces assemblages en ciment. Ces lettres se dressaient majestueusement au sommet des constructions. Cet environnement constitué de blocs d’éléments décoratifs épars se déroule sur une dizaine de mètres. "Lapeyrouse" en occitan est un lieu où l'on trouve des pierres, un nom évocateur pour parler de l’œuvre de ce créateur.

Photographie: Romain Perrot

C'est en contactant la mairie de Lapeyrouse Mornay que j'obtins les coordonnées d'André. Il habitait tout près de ce terrain. J'arrivais un peu avant le déjeuner et surprenais le couple dans ses activités. J'étais, selon ses dires, la première personne à venir m'enquérir au sujet de son ouvrage. Le site est bien visible depuis le bord de la route, cependant, personne encore n'avait souhaité rencontrer son créateur. André a 77 ans. Il s'est attelé à l'élaboration de ce site en 2013. Fils de paysan, il a travaillé comme maçon jusqu'à son départ à la retraite en 2004. C'est presque 10 ans après sa mise à la retraite qu'il s'est mis à façonner cet environnement. Il a maintenant terminé. Le site est entretenu mais il n'ajoute plus aucun élément décoratif.

«La plupart vont à Hauterives, voir le facteur Cheval, ils passent devant et ralentissent, ça les intrigue...». Ils s'arrêtaient mais n'étaient pas sûrs de savoir ce qu'ils contemplaient. Alors André, aidé par sa fille, a écrit un texte dans lequel il explique quelque peu sa démarche : « L'emplacement de ce terrain était un talus broussailleux, il a été remblayé au fil du temps par des gravats de terre et des déchets végétaux. L'auteur de cet ouvrage est un ancien maçon à l'esprit bâtisseur, amoureux de la nature. Il a donné vie à un lieu destiné à la friche. Il a voulu créer une harmonie écologique entre le sacré, le minéral, le végétal et l'animal dans un ensemble architectural où le galet mémorise la nature du terrain lapeyrousien. Merci de ne pas trop s'approcher des ouvrages ; le lieu est PRIVE et le propriétaire se décharge de toute responsabilité en cas d'accident. En espérant que ce site vous a plu, bonne route ! ».

Je voulais cependant entendre ses mots et comprendre ses motivations... « Oh ce sont des trucs qui nous viennent comme ça... C'est très difficile à expliquer, parce que vous savez je ne suis pas un orateur... J'ai fait ça comme une inspiration que je n'explique pas. Je pense que j'ai voulu exprimer quelque chose mais je ne peux pas vous l'expliquer... Je ne fais pas de croquis, tout est dans la tête. Dans la vie, on est inspiré par des tas de trucs. Ça se fait tout seul, les idées viennent toutes seules. Il y a quelque chose dans la vie qui vous guide. » Les lettres géantes en lettres capitales qui surplombent les blocs forment également des mots d'inspiration humaniste : liberté, égalité, fraternité...Elles promulguent des valeurs chères à leur auteur. Chaque lettre géante personnifie une valeur, un mérite, une aspiration : C pour courage, S pour solidarité, V pour vérité, J pour justice, P pour partage, R pour respect, G pour générosité... « Cette devise de la République, Liberté, Égalité, Fraternité, est importante à mes yeux et je suis attaché à ces valeurs. Une dame qui peignait des tableaux pour l'église de Lapeyrouse Mornay me disait que mes lettres étaient trop grosses... J'ai simplifié avec des moules, avec ce que j'ai trouvé. Quand on regarde bien, tout est un peu sauvage, moi je suis pas un maniaque, j'suis pas un grand finisseur, je suis un maître d’œuvre, j'aime le gros œuvre. Je ne suis pas décorateur ni un peintre. J'ai fait ça grosso modo, c'est un peu grossier et brut... »

Je lui rétorquais alors que l'émotion pouvait se faire ressentir encore plus fortement en admirant une œuvre « brute » pour reprendre ses termes, que devant une production au rendu plus soigné. Il me disait n'avoir jamais entendu de tels mots. André constate qu'il n'arrive pas toujours à expliciter sa pensée par des mots, alors cette pensée s'instille dans ses réalisations. « Je ne savais pas que mon travail pouvait vous faire ressentir des choses. Je suis un maçon, j'suis incapable de faire des trucs comme les cathédrales... » Enfin, ils étaient 5000 pour les construire les cathédrales ! « Oui c'est vrai...et puis je n'avais pas beaucoup de moyens donc j'investissais 500, 600 euros par an pour faire ça... ». C'est oublier en effet l'investissement pécuniaire que ces créateurs déploient afin de mettre en œuvre leurs projets, restaurer les œuvres et assurer leur préservation. La plupart des matériaux ont été collectés par divers moyens, cependant il y a des liants, des vernis, des matériaux dont ils doivent faire l'acquisition pour finaliser leur exécution.

« La nuit, je pense à des petits trucs. Les gars du coin ils disent que je suis un peu bizarre, qu'un truc m'est passé par la tête. Je ne peux pas rester non plus sans rien faire que ce soit l'hiver comme l'été. Y a bien la télévision un p'tit moment mais non... Dans les années 1950/60, j'habitais dans une toute petite ferme, à 15 km d'ici, et je travaillais comme maçon. J'ai toujours eu le goût de construire... Maintenant j'arrose quelques arbres que je plante mais l’œuvre est finie, je suis fatigué, j'ai de l'arthrose et je ne peux plus aussi bien marcher... »

Le terrain qu'il a aménagé ne jouxte pas son habitation et se situe à une dizaine de mètres de là. Pourquoi avait-t-il préféré investir cet espace spécifique au lieu de se cantonner à son environnement domestique ? « Il y avait beaucoup de personnes qui s'en servaient comme décharge et moi, comme j'étais maçon, je m'en servais comme décharge aussi. Je l'ai ensuite aplani puis j'y ai mis de l'ordre. L'action a emmené une réaction... Ma fille me disait " mais tu perds la tête "... Ah vous savez la vie est complexe. »

André Muetton a commencé à travailler dès l'âge de 16 ans comme manœuvre maçon. Il changeait souvent de boîte dans la région et avait du mal à s'acclimater au milieu ambiant. Il a préféré s'installer à son compte comme petit artisan par la suite et a pris sa retraite en 2004. Il a profité des premières années de la retraite pour rénover la maison puis en 2013 s'est adonné à cette étonnante activité. « Quand on descend de la route, je pense que dans le village, ça fait un petit dérivatif, ça donne quelque chose de différent à voir. Au lieu de mettre un tas de cailloux ou un tas de bois j'ai pensé à ça... En tout cas, ça me fait plaisir qu'il y ait des gens que ça intéresse. Moi ça me dérange pas qu'on parle de moi ou qu'on découvre mon site. Ça peut des fois stimuler les gens. L'art c'est quelque chose de complexe, je découvre des choses à la fin de ma vie. L'idée ne vient pas de moi finalement, il y a quelque chose d'un peu mystique. J'étais fils de paysan, j'ai surtout pensé à vivre. J'ai connu une époque où on n'avait plus d'eau dans la ferme. On n'en parlait pas mais c'était le bagne... J'ai eu une vie assez compliquée. Cette terre est une garrigue aride : il y a surtout des genêts, des cailloux. Et puis faire de la maçonnerie avec cette chaleur, c'est compliqué à travailler, ça tire trop vite. »

Malgré les doutes qu'André émettait sur ses capacités d'expression orale, force était de constater que lui seul parvenait à expliciter son œuvre avec autant de force et d'intelligibilité. Sa parole était simple et modeste mais d'une justesse absolue alors je préférais l'écouter et retranscrire ses mots... Il était bien plus près de la vérité que je n'ai jamais été et ne le serai jamais.

Je lui ai demandé si je pouvais le prendre en photo et sa femme a aussitôt insisté pour qu'il se coiffe afin de paraître plus présentable. André était déjà superbe mais elle a tenu à lui passer un petit coup de peigne. Quoique je ne fusse occupée que d'idées tristes ce jour là, il y avait pour moi un charme consolateur dans la magnificence de cet authentique portrait.

Photographie: Romain Perrot