Cartographie des Rocamberlus

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L'œuvre sculptée des Montégudet de père en fils

La Terrade 23150 Lépinas, Nouvelle Aquitaine

Portrait de Ludovic Montégudet au milieu de ses sculptures vers 1980

Visite en juillet 2023 - Ludovic Montégudet (1903-1981) et René Montégudet

Par une pluvieuse matinée d'été je m'arrêtai à la Terrade, nichée au cœur de la Creuse en Limousin, afin d'y rencontrer René Montégudet. Il était absent ce jour-là. Je me suis garée devant la maison. J'ai bien attendu 1h espérant qu'il tardât simplement à effectuer quelques emplettes avant le déjeuner mais à 12h30 il n'était pas de retour or, dans la douce banalité de la vie provinciale, les horaires sont bel et bien respectés. Ainsi René ne reviendrait pas de la journée - il me fallait pourtant poursuivre mon chemin et remonter à Paris dans les temps impartis. À tout moment le pays changeait d’aspect et le ciel de lumière. Un arc en ciel brillait au loin. la végétation changeait de couleur, les versants de nuances, les vallons de forme. Je ne croisai aucun passant au cours de cette attente silencieuse, tout juste quelques rares automobilistes au regard soupçonneux qui ralentissaient à mon approche. Est-ce que l’âme des habitants avait quitté ces lieux?

J'apercevais au loin les sculptures de René sur une butte dans le pré attenant à la maison. Ne pouvant découvrir celles du père, abritées dans une aile de sa maison, je m'avançai ainsi seule pour contempler cet ensemble animalier composé d'animaux exotiques ou familiers venant animer le paysage. Une brume légère montait du sol saturé. Campés sur des rochers de grès ou des socles en béton armé, cet ensemble sculpté semble préfigurer une scène de combat, où chaque animal parait sur le point d'attaquer ou de fuir. Les prédateurs se font face ou lorgnent sur leurs prochaines victimes. Ce soupçon de danger devenait réel à la moiteur du sol. Je manquai à plusieurs reprises de glisser sur cette roche de béton lissée.

Ancien postier à la retraite, René entreprit la réalisation de cet ensemble en béton armé. Fort de son apprentissage auprès de son père Ludovic qui l'initia aux rudiments de la ronde-bosse, pour l'avoir naguère aidé à la réalisation de sculptures, il nourrit le souhait de prolonger cet héritage et d'apporter sa pierre à l'édifice au travers d'une œuvre devenue personnelle. Ses réalisations ne ressemblent en rien à celles de son père, remarquables pour leur aspect naïf et humoristique. René surpasse son géniteur sur un plan naturaliste mais le charme ingénu n'est plus. Ces animaux sont durablement enracinés dans le béton et la roche et résistent aux intempéries à l'inverse de l'œuvre du père rendue précaire au fil des années.

A sa mort en 1981, voyant que le site du patriarche périclitait, René décida de rapatrier quelques pièces, autrefois réparties au bord de l'étang, dans la ferme reconstituée en petit musée privé. Il s'attacha avec le plus grand soin à restaurer ce patrimoine paternel et l'ouvrit au public.

Après des années à cultiver la terre, Ludovic fut élu maire de la commune de 1946 à 1977. entre 1967 et 1981, il créa autour d'un étang une sorte de parc de loisirs bricolé au moyen de divers matériaux de récupération. Il sema sur ses rives une multitude de petites saynètes représentant, entre autres, les Fables de La Fontaine, la Chèvre de Picasso, Barbe-Bleue, Roland à Roncevaux…

René a aujourd'hui plus de 90 ans et ses forces s'amenuisent. Fatigué, il n'autorise plus guère les visiteurs à visiter le petit musée. Je me représente ainsi ce lieu au travers des photographies et cartes postales anciennes retrouvées sur internet.

"L'étang fleuri" de Ludovic Montégudet, carte postale des années 1970

le petit musée photographié par Roland Nicoux, 2009

J'eus en revanche la chance de me faire conter quelques anecdotes au sujet des réalisations du père et du fils en contactant l'office de tourisme d'Ahun: J'appris qu'il aura fallu tailler des dizaines de bouteilles de vin avant de trouver le bon jable pour confectionner les yeux vitreux du crocodile. Mme Montégudet se rendait au supermarché du coin pour acquérir ces bouteilles et rougissait au moment de passer à la caisse, craignant de passer pour une ivrogne. Autres anecdotes concernant Ludovic: à l'entrée de l'étang se trouvait un beau linteau ouvragé sous lequel siégeait une pendule. à l'approche de chaque visiteur souhaitant l'observer de plus près, Ludovic caché, actionnait une pédale qui émettait un bruit retentissant et le faisait reculer d'un bond. Il se gaussait de ces tours de farce et attrapes tel un enfant. Un autre anecdote plus coquine concerne une oeuvre relatant les Fables de la Fontaine, celle du bouc tombé dans le puit. Ludovic avait conçu une ouverture par laquelle les visiteurs plongeaient leur regard et les adultes pouvaient y voir les parties intimes de l'animal.

Enfant, cette conseillère ne comprenait pas toutes les allusions coquines semées de-ci de-là mais les parents pouvaient en revanche s'en délecter. Des familles entières s'y rendaient pour profiter du cadre bucolique, des réjouissances du site et pour y pique-niquer. ce lieu est empreint d'une certaine nostalgie des promenades dominicales de leur enfance. Ces cartes postales donnent un avant goût de ce bonheur champêtre à l'exotisme candide. Le soleil rie dans les charmilles ; l’oiseau chante dans les buissons, des indiens traversent l'étang dans leur tipi. Je repensai au ton joyeux qu'elle avait pour décrire ces moments passés à batifoler dans ce parc de loisirs, ces souvenirs qui paraissent si réconfortants. Pour y être retournée à l'âge adulte, elle s'étonnait de s'être représenté l'étang fleuri tout autrement et le trouvait beaucoup plus petit que dans son souvenir. Dans la sublimation de ces instants passés la vie semblait s'écouler paisiblement.

L'étang fleuri en carte postale