Cartographie des Rocamberlus

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Le parc aux loisirs de Calogero Gangitano

9 chemin de Saint-Flour, Fontenilles (31)

Photographie retrouvée dans un album de famille

Calogero Gangitano, Visite en septembre 2021

Calogero Gangitano habite à Fontenille, à une vingtaine de kms de Toulouse. "Il y a 50 ans que je suis ici, au début il y avait trois maisons dont la nôtre, maintenant il y a 260 villas". Il emménagea en banlieue de Toulouse lorsqu'il fut recruté comme soudeur, fraiseur, chez Airbus. Calogero est un italien originaire de Tunisie. Il rencontra sa femme à Tunis puis le couple s'installa en France en 1961, peu après l'affaire de Bizerte (pendant l'été 1961, le régime tunisien lança un assaut contre la base aéronavale de Bizerte que les Français avaient conservée après l'indépendance de la Tunisie en 1956. Les combats firent des centaines de morts, presque tous Tunisiens). Calogero fabriquait les pièces des avions Airbus, il était chef d'atelier et il se mit à collecter des chutes afin de concevoir les décors qui allaient orner sa maison. Ainsi il nous montre dans son jardin les tiges et feuilles d'un palmier sculpté en aluminium faites à partir des restes de l'avion de ligne supersonique Concorde.

Ses compétences manuelles, son sens de la collecte et de la récupération, lui ont permis de construire et d'équiper entièrement sa maison. Tout a été réalisé par Calogero: les meubles, les lustres, la décoration intérieure et même la piscine.

Calogero répare les machines et rafistole les meubles dont les gens souhaitent se débarrasser. Les Gangitano vivent dans un monde d'objets, de bibelots qu'ils ont amassés en les glanant de-ci de-là. Leur maison est accueillante, chargée des souvenirs laissés par ce travail de récupération.  . Quelques dizaines de portails en fer forgé  lui sont attribués le long du chemin de St Flour.

le portail de Calogero

Calogero en revient souvent à ses origines tunisiennes lors de notre conversation. A l'entrée de la maison, on reconnait le phare de Sidi Bou Saïd. Il conçut une dizaine de fontaines de jardin au style très méditerranéen. Des sculptures aux thèmes divers ornent ces fontaines:

phare de Sidi Bou Said

Autres fontaines:

Devant l'entrée, on aperçoit une fourmi en pierre et en fer forgé jouant de la guitare. "Ça c'est moi quand j'étais jeune,  j'étais musicien et jouais dans un quartet nommé les Gangicalo, il y a 50 ans de ça." Le groupe se produisait lors de fêtes, de réveillons de Noël dans toute la Tunisie.

Calogero entreprit de nous faire découvrir d'autres réalisations exposées dans une propriété située à quelques kilomètres de son habitation. Nous retrouvons une fourmilière d'insectes personnifiés élaborés au moyen de pierres rondes ceinturées de fil de fer : une fourmi Spiderman, une porteuse d'eau, une amazone, un cycliste... Ce deuxième terrain, qui abrite aujourd'hui la majeure partie de son œuvre plastique, appartenait à son frère. Calogero en hérita par la suite. Le nouveau maire refusa de lui attribuer un permis de construire de sorte que Calogero décida d'en faire un espace d'exposition, un terrain de jeu, un jardin idyllique pour y passer du bon temps entre amis ou en famille. Il construisit une cabane géante, un manège, une aire de pique-nique pour les enfants. Le terrain était auparavant ouvert à tous; il n'y avait ni portail, ni clôtures, pour délimiter cet espace de jeu. Par malheur, des sculptures disparurent et Calogero se vit contraint de fermer le site au public. Il avait pourtant pensé cet espace comme un lieu libre d'accès, propice au repos et au divertissement. Calogero invita l'école de Fontenille à venir pique-niquer dans le jardin, un exemple parmi d'autres d'altruisme développé dans sa pratique artistique.

Ce fut au Parc de la Demie-Lune, un parc de loisirs à Lannemezan où il emmenait ses enfants chaque été, que son ambition créatrice se fit ressentir pour la toute première fois. Des œuvres sculptées au style naïf retinrent particulièrement son attention; parmi ces fabriques on retrouvait une arche de Noé, Blanche Neige et les sept nains, un château, monuments créés par des enfants en situation de handicap.

l'atelier

Il nous fit ensuite découvrir son atelier et nous révéla ses procédés de fabrication. Ses premières sculptures aujourd'hui disparues furent réalisées en ciment; "je faisais le squelette avec du grillage et je bâtissais par-dessus. Le grillage retenait le ciment. J'appliquais alors une première couche, puis une deuxième... jusqu'à 4 couches comme si je travaillais à l'aide de pâte à modeler (...) Je fabriquais mes propres machines (...) J'ai tout fait dans cet atelier."

En dépit de leur style naïf, les premières sculptures en ciment de Calogero étaient particulièrement réalistes. Les sujets abordés étaient issus de la culture médiatique: Louis de Funès, Charlie Chaplin, Don Quichotte, Shrek, Tintin... Calogero se met à tourner les pages d'un portefolio (réalisé par ses enfants) retraçant l'histoire de son œuvre sculptée, et me fait découvrir tout un pan d'une œuvre aujourd'hui évanouie.

Les visites se font rares et pourtant La Dépêche lui avait consacré un article en 2007 et France 3 réalisa un reportage en 2009: "Je croyais que c'était une blague quand la télévision m'a appelé. Ils y ont passé la journée. Des gens sont venus après le reportage mais plus trop dernièrement. Ils ne viennent plus depuis que les sculptures en ciment ont disparu".

Calogero se sépara de ses sculptures en suivant les conseils de sa femme; il les laissa en dépôt chez un brocanteur qui s'en sépara à son tour pour les céder en salle des ventes. Nul ne sait encore quand la vente sera organisée et celles-ci demeurent dans l'ombre depuis toutes ces années, stockées à l'abri des regards. Le seul bloc sculpté de cette facture, que l'on peut encore admirer aujourd'hui, se situe à l'entrée de la maison; une scène de genre attendrissante composée des grands-parents de Calogero, de leurs arrière-petites-filles et du petit chien de compagnie constitue, à mon sens, son morceau de bravoure. Beaucoup de sérénité se dégage à la contemplation de cet ensemble sculpté; les arrière-grands-parents sont tranquillement attablés, la grande consulte son téléphone portable ou se prend en selfie et la cadette adopte une pose méditative, les yeux rivés au sol. L'impression de douceur et de désœuvrement domine cette anodine scène de famille dans laquelle les générations d'imbriquent.

la famille Gangitano

  • - Bruno Montpied, Le gazouillis des éléphants: tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, excentriques, loufoques, brindezingues, ou tout simplement inventifs, passés, présents et en devenir, en plein air ou sous terre (quelquefois en intérieur), pour le plaisir de leurs auteurs et de quelques amateurs de passage, 2017, publié aux éditions du Sandre.